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UNE ORGANISATION BÂTIE POUR CONTRIBUER (2/3)

  • batiepourcontribue
  • 20 janv. 2024
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 17 mars 2024

Comment une organisation peut-elle contribuer à ce que l’humanité ne dépasse pas les frontières planétaires ? En 2015, Kate Raworth(1) livrait une représentation frappante de l’urgence écologique par le modèle de ‘L’économie du Donut’. Ce modèle décrit les limites physiques à prendre en compte et les besoins sociaux à satisfaire afin de construire des sociétés plus durables. Alors que ce modèle détaille les défis des sociétés humaines à l’échelle macro, la RSE, responsabilité sociétale des entreprises, propose quant à elle une série d’outils aux entreprises afin de répondre aux attentes sociales et aux défis environnementaux. Alors que la RSE est aujourd’hui très bien définie (et a le vent en poupe), elle n’a à ce jour aucune représentation qui permette à l’entreprise d’apprécier les impacts, risques, et opportunités de son modèle d’affaires et de communiquer simplement, clairement, et totalement sur sa maturité à l’égard de ses enjeux RSE. 


Cet article a pour but d’offrir une telle représentation : Une représentation de la RSE pour aider les parties prenantes à comprendre et agir pour transformer l’organisation en une organisation contributive et regénérative ; Une représentation qui s’appuie sur l’existant (ISO 26000, GRI, CSRD) et qui permet de transcrire facilement la contribution de l’organisation aux objectifs sociétaux ; Une représentation qui permet de traduire les objectifs sociétaux de l’humanité en objectifs pour une organisation.


Le cadre : Frontières Planétaires, Objectifs de Développement durable, et La RSE


1) A la découverte de l’Economie du Donut :

En 2012, Kate Rayworth partageait une représentation des objectifs de l’humanité ! C’est une vision saisissante du défi auquel l'humanité est confrontée.  La représentation se compose de deux anneaux concentriques :

  • Un socle social qui représente les besoins de base de la population - s'assurer que personne ne manque de l'essentiel dans la vie.

  • Un plafond écologique - pour s'assurer que l'humanité ne dépasse pas collectivement les limites planétaires.

Entre ces deux limites se trouve un espace en forme de Donut qui est à la fois écologiquement sûr et socialement juste - un espace dans lequel l'humanité peut prospérer. 

D’un côté, nous avons un plafond écologique ou frontière planétaire. Ce cadre d’analyse, proposé en 2009 par le Stockholm Resilience Centre (SRC), révisé en septembre 2023 (Richardson et al.), vise à définir un « espace de fonctionnement sûr pour l’humanité » qui repose sur l’évolution de neuf phénomènes complexes et interconnectés. Pour chacun des systèmes/processus de la frontière planétaire, des seuils quantitatifs sont définis. Le dépassement de ce seuil met en péril les conditions qui ont permis le développement et le bien-être de l'humanité. Ces neuf processus regroupent le changement climatique, la perte de l’intégrité de la biosphère, le degré d’acidification des océans…  

De l’autre côté, notre société doit travailler à répondre aux besoins de chaque humain. Le modèle intègre 12 dimensions qui sont issues des objectifs de développement durable (ONU, 2015). Pareillement, ces dimensions qui sont associées à des indicateurs précis regroupent les thématiques de l’éducation, de l’alimentation, de l’accès à l’eau, de la santé, de l’égalité des sexes…


Par la mesure de ces différentes dimensions, un état des lieux sur la situation de l’humanité peut être fait. La question subsidiaire est : est-ce que l’humanité vit dans la zone qui est à la fois écologiquement sûre et socialement juste ? La réponse est sans appel : D’un côté, l’humanité n’arrive pas à satisfaire ses besoins sociaux ; On estime aujourd’hui qu’aucune des 12 dimensions sociales n’est atteinte (2). De l’autre, on estime que 6 des 9 dimensions environnementales sont dépassées(3). L'humanité dépasse donc les frontières écologiques sans répondre à ses besoins sociaux globaux.


2) Le rôle de la RSE

La RSE vit depuis quelques années une profonde révolution. Au début, la RSE était liée à des améliorations marginales et était associée à des actions périphériques à l’activité de l’organisation. Toutefois, poussée par des citoyens (et consommateurs) de plus en plus exigeants et cadrée par les évolutions règlementaires (Taxonomie, CSRD) la RSE s’est transformée. Elle a aujourd’hui même le vent en poupe !


Aujourd’hui la RSE s’intègre à la stratégie de l’entreprise, aux processus de décision, et aux processus de conduite du changement. Couplées à l’intégration de la RSE à tous les niveaux de l’entreprise, les organisations prennent de plus en plus en compte l’ensemble des périmètres de leurs champs d’impacts. En effet, leur analyse va au-delà d’un périmètre restreint, prenant en compte non seulement le périmètre de l’activité de l’organisation, mais également l’amont et l’aval de la chaîne de valeur de l’organisation.


Ainsi, la RSE continue à vivre une véritable révolution. Elle passe d’une approche défensive et réactive de prévention des risques à une approche de contribution sociétale avec un objectif de maximiser l’impact positif. On passe donc du paradigme de « l’entreprise réparatrice à l’entreprise contributive » (Geneviève Férone-Creuzet, 2020). D’autres iront plus loin avec le terme d’entreprise ‘régénérative’, une entreprise durable et résiliente (Voir les travaux de Christophe Sempels ICI). De surcroît, la RSE permet de remettre l’entreprise et son modèle économique en résonance avec les enjeux de son temps.


Toutefois, malgré l’apparition des labels, des certifications, des référentiels, il reste une certaine difficulté à s’engager, à illustrer, et à communiquer pleinement sur la performance RSE d’une organisation. Comment représenter la performance RSE d’une organisation ?  La représentation livrée dans les paragraphes qui suivent a l’ambition d’être utilisée pour devenir une véritable boussole de la contribution d’une organisation aux enjeux sociétaux. 


LA RSE EN DONUT : COMMENT CONTRIBUER A CONSTRUIRE UN ESPACE SÛR ET JUSTE POUR L’HUMANITE ?

La représentation proposée peut se déconstruire en deux parties. La première définit l’organisation et la deuxième permet de caractériser le degré de contribution de l’organisation à construire un espace sûr et juste pour l’humanité.


1) L’organisation, sa raison d’être, sa vision

La première partie du modèle permet de définir l’organisation. C’est le cœur de l’organisation ! Reprenant la théorie de Collins J.C. & Porras J.L (1996)(4), pour durer dans le temps, une organisation doit définir son Idéologie fondamentale ainsi que le futur envisagé. D’une part, nous avons l’idéologie fondamentale qui est composée :

  • Des valeurs fondamentales. Ce sont les croyances ou principes qui ne sont absolument pas négociables. Elles définissent une organisation. Lorsque vous réfléchissez à vos valeurs personnelles, vous avez généralement une idée de ce qui est vraiment important pour vous - les caractéristiques dont vous ne pourriez pas vous passer. Pour Collins et Porras, les valeurs fondamentales d'une organisation sont les mêmes : elles sont aussi naturelles que la respiration. Quelques exemples de valeurs :

    • Nestlé : valeur client, créativité, excellence, expertise.

    • Patagonia : Qualité, Intégrité, Engagement Environnemental, Justice, Non-Conformisme

    • TotalEnergies : La sécurité, Le respect de l’Autre, L’esprit pionnier, La Force de la Solidarité, Le goût de la Performance

  • Une raison d’être. C’est l’âme de la société. Elle reflète les motivations idéales qui poussent les composantes de l’organisation à travailler. Quelques exemples de valeurs :

    • La SNCF est depuis 2018 « d’apporter à chacun la liberté de se déplacer en préservant la planète » ; 

    • Le MEDEF est « d’agir pour une croissance responsable »

    • Caisse des dépôts et Consignations : "Ensemble, faisons grandir la France"


D’autre part, nous avons le futur envisagé qui est composé de : 

  • Des BHAG (Big, Hairy, Audacious Goals). Ce sont des objectifs à 10-30 ans établis par l’organisation. Ces objectifs doivent être exceptionnellement audacieux et ambitieux et ont comme but de provoquer des changements radicaux au sein de l’entreprise. Par exemple, entre 2008 et 2012, Danone a voulu réduire drastiquement ses émissions en fixant un objectif de -30%. Frank Riboud, alors PDG de Danone, confie que « réduire nos émissions de 20% entre 2008 et 2012 semblait un objectif réaliste, alors que les réduire de 30% était impossible" – ce qui faisait très exactement le type d’objectif qu'il souhaitait… Car l’enjeu n’est pas tant carbone : l’enjeu, d'après lui, c'était la transformation de l’entreprise pour faire en sorte qu’elle s’adapte graduellement au monde de demain. 

  • Une vision. Elle décrit comment l’entreprise envisage le futur. C’est l’étoile qu’elle pourchasse sans jamais pouvoir complètement l’atteindre. Par exemple, la vision de la NASA est de ‘découvrir et développer les connaissances au profit de l’humanité’ ; l’association Alzheimer se projette sur ‘un monde sans maladie d’Alzheimer’.


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Figure 1 : Construire une vision / Collin J.C & Porras J.L (1996)

Nous pouvons comparer l’idéologie fondamentale à un cœur. Un cœur qui bat pour réaliser des objectifs en accord avec une vision partagée au sein de l’organisation, le futur envisagé. Ainsi, à l’instar de la représentation de Collin J.C & Porras J.L (1996), l'utilisation du symbole du yin et du yang est délibérée : l'idéologie fondamentale est essentiellement dénuée de sens sans progrès ou mouvement vers l'avenir, tandis qu'une vision cohérente ne peut être créée sans une base stable. 

Une fois que le cœur de l’organisation a bien été défini, une fois que le cœur de l’organisation peut battre à la réalisation d’un futur, alors nous pouvons nous intéresser à la question suivante : Comment l’organisation peut contribuer aux objectifs de notre société ? Comment l’organisation peut contribuer à ce que l’humanité puisse vivre dans un espace sûr et juste ? 


2) Contribution sociétale d’une organisation

On s’intéresse alors à la contribution de l’organisation aux enjeux sociétaux. A l’instar de l’économie du Donut, l’organisation se doit de prendre en compte le double objectif de nos sociétés de répondre aux besoins des individus (socle social) tout en contribuant positivement à l’environnement (plafond écologique). Dans cette veine, une organisation doit répondre à deux questions intrinsèquement liées :

  • Comment peut-elle contribuer à ce que personne ne manque de l’essentiel dans la vie ? 

  • Comment peut-elle contribuer à ce que l’humanité ne dépasse pas collectivement les limites planétaires ?


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Figure 2 : Représentation des objectifs sociétaux d'une organisation / by  Hugo Poitout  is licensed under  CC BY-SA 4.0

Les deux limites sont définies par un certain nombre de dimensions. Chaque dimension de la représentation est liée aux dimensions du modèle de ‘l’Economie du Donut’ afin que les objectifs de l’organisation répondent aux objectifs sociétaux/planétaires. Chaque dimension est caractérisée par des indicateurs qui permettent de mesurer la contribution de l’organisation à l’objectif sociétal. Ces indicateurs sont tirés des nombreux référentiels suivant la norme ISO 26000 et sont alignés aux normes ESRS. Bien que ce papier n’ait pas pour but de décrire exhaustivement la représentation proposée, il parait important de faire un zoom sur chaque limite.  


Le plafond écologique s’intéresse d’un côté à la question de comment l’organisation peut contribuer à ce que l’humanité ne dépasse pas collectivement les frontières planétaires. Cette limite est composée de 5 dimensions qui regroupent la gestion de l’eau, la pollution, la question du changement climatique, la biodiversité.... Les dimensions font échos aux frontières planétaires définies par la science tout en respectant le cadre des normes ESRS.

Pour illustrer la valeur de ces dimensions en respect à l’activité d’une organisation, nous pouvons prendre l’exemple du climat. Aujourd’hui, une entreprise peut s’engager à réduire ses émissions carbone. Pour évaluer sa stratégie au regard de l’objectif de l’Accord de Paris, elle peut appliquer la méthodologie d’évaluation ACT® et/ou s’engager dans l’initiative SBTi et travailler à contribuer à l’objectif sociétal de lutte contre le changement climatique. Dans la même veine, si l’entreprise souhaite aller plus loin dans sa compréhension de sa performance aux enjeux climat, elle peut pousser l’analyse à l’échelle de ses produits et services. Pour cela, Carbone 4 a proposé récemment, dans le cadre de la démarche Net Zero Initiative, un indicateur climat appelé ‘Score de Comptabilité avec l’Accord e Paris’(SCAP)(5).  Un autre exemple similaire peut être partagé concernant le sujet de la biodiversité. Chaque organisation doit se poser la question des conséquences de son activité sur la biodiversité. Elle doit comprendre ses pressions sur la biodiversité et agir pour contribuer aux objectifs sociétaux L’entreprise Kering offre une illustration intéressante. Pour préserver les ressources naturelles qui constituent le socle de ses activités, Kering, entreprise française du luxe (détenant Yves Saint Laurent, Gucci, Balanciaga, et d’autres marques) a mis en œuvre une stratégie biodiversité. Kering s’engage à atteindre un « impact net positif » sur la biodiversité à horizon 2025 (le BHAG). D’autres exemples d’entreprises peuvent être utilisés pour montrer leur contribution aux objectifs sociétaux : L’entreprise 1083 propose un jean fait de matières recyclées, le polyester, afin de réduire notre pression sur les matières premières. L’entreprise Corail transforme les déchets marins en méditerranée en les transformant en chaussures et autres accessoires. La cave coopérative des vignerons du Buzet traite les effluents vinicoles via la mise en place d’un jardin filtrant traitant 100m3 d’effluents par jour en pleine vendange et ayant un coût deux fois moins cher qu’une station d’épuration classique.


Le socle social s’intéresse, quant à lui, à la question de comment l’organisation peut contribuer à ce que personne ne manque de l’essentiel dans la vie. Il est composé de 10 dimensions comme les thématiques de l’éducation et de la formation, de la diversité et l’inclusion, de la résilience locale, de l’éthique et la conformité… Chaque dimension fait aussi échos aux standards ESRS définis dans la CSRD.

Par exemple, sur la question de la résilience locale, l’organisation peut se demander comment elle peut contribuer à générer et protéger la résilience des territoires dans lequel elle se trouve ? Comment elle peut contribuer positivement à la construction d’une communauté locale active et générative de valeur pour le territoire, et in fine, pour l’organisation ? Est-ce que sa contribution est suffisante au regard des objectifs du territoire ? Pour illustrer ce point, nous pouvons reprendre les mots de Serge Papin, ancien PDG de système U qui déclarait en 2018 à ses collègues : «si j’avais trente ans et que j’ouvrais un supermarché aujourd’hui, j’installerais une ferme à côté ! ». Derrière cette phrase se cache l’idée de l’obligation pour une entreprise de ce secteur d’avoir un ancrage local fort. Pour lui, « Les supermarchés sont en première ligne de cette résilience locale, et doivent par conséquent être moteurs de ce mouvement. ». La ruche qui dit oui, qui a pour mission de donner à tous les moyens de mieux se nourrir et soutenir les agriculteurs qui cultivent un monde meilleur, peut se targuer d’avoir un ancrage local fort. Cet ancrage peut être illustré par le fait que la distance moyenne parcourue par les produits vendus est de 65km. Autre exemple, concernant le partage de la valeur, relatif à la dimension ‘sécurité financière’, l’entreprise Enercoop(6) a mis en place un plafonnement de la différence de rémunération entre le salaire le plus bas et le salaire le plus haut. Cette différence est fixée à trois.


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Figure 3 : Représentation de la responsabilité sociétale de l’entreprise / by  Hugo Poitout  is licensed under  CC BY-SA 4.0

Ainsi, cette représentation de la RSE permet donc l’expression d’une vision intégrée de la RSE où l’entreprise contribue à atteindre les objectifs sociétaux. Elle souligne l’interconnexion des dimensions sociales, environnementales, et économiques dans la conduite des affaires. Les tensions sociales et environnementales ne sont plus décrites comme « externalités » économiques ; au contraire, les frontières environnementales et sociales constituent un point de départ dans l’évaluation de la manière dont l’activité économique d’une organisation devrait se dérouler. Ainsi, cette représentation de la RSE non seulement permet le dialogue entre objectifs sociétaux et contributions d’une organisation, mais aussi livre un outil pour bâtir une organisation contributive, régénérative. 


La question qui reste en suspens est la suivante : Comment utiliser cette représentation à la conduite des affaires ? Comment utiliser ce modèle pour construire/poursuivre une stratégie d’entreprise ayant un modèle économique qui soit en résonance avec les enjeux de son temps ? Le prochain article apportera des éléments de réponse !


 Représentation de la RSE en Donut  © 2024   by  Hugo Poitout  is licensed under  CC BY-SA 4.0

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 Représentation de la RSE en Donut  © 2024   by  Hugo Poitout  is licensed under  CC BY-SA 4.0


Bibliographie :

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